Libérer l'expression sur internet
 On nous le martèle depuis dix ans : internet et les Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) ont bouleversé le monde. Effectivement, les autoroutes de l'information permettent désormais à des centaines de millions d'hommes et de femmes de savoir en temps réel ce qui se passe à l'autre bout de la planète, de dialoguer et d'échanger des documents avec des personnes vivant dans un pays où ils n'ont jamais mis les pieds… bref, de rétrécir d'un coup de baguette magique le temps et l'espace (pour peu qu'on ait de quoi se payer le matériel nécessaire).
Cette révolution technologique (dont certains disent qu'elle serait la révolution industrielle du 21e siècle) est le thème du Sommet Mondial sur la Société de l'Information (SMSI) qui débute cette semaine à Genève. A l'invitation des nations unies, des représentants des pays, des organisations internationales, du monde de l'entreprise et des ONG se réuniront pour convenir ensemble d'une déclaration de principes et d'un plan d'action pour les années à venir. Ce sommet a deux objectifs principaux : d'une part adopter une définition commune de ce qu'est et devrait être la société de l'information, d'autre part faire en sorte de construire une société de l'information pour tous.
 Se concentrant sur la question du fossé numérique, et des moyens à mettre en œuvre pour permettre de câbler les pays du sud (escomptant ainsi y réduire la pauvreté), le sommet ne se penche que trop rapidement sur la régulation de la société de l'information et plus particulièrement d'internet.
Peu d'internautes savent comment fonctionne le réseau, et en Europe, nombreux sont ceux qui pensent qu'internet est un espace de liberté totale. Pourtant, l'ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), organe chargé d'attribuer les noms de domaine (et disposant ainsi d'un droit de vie et de mort sur tous les sites web) est encore organiquement lié au gouvernement américain. Cette année, l'ICANN a décidé par exemple de retirer leurs noms de domaine à tous les sites irakiens (au moment où les Etats-Unis cherchaient le soutien de la communauté internationale pour intervenir en Irak) sous prétexte que le gouvernement irakien était instable. Etablissant lui-même arbitrairement ses critères d'attribution et sans responsabilité devant les internautes (car ils ne peuvent ni choisir les membres de l'ICANN, ni les démettre), l'ICANN est une entité toute puissante soumise uniquement au véto américain. Ce lien avec les Etats-Unis se comprend car c'est là qu'est né internet, toutefois, avec désormais un réseau mondial, il est temps de couper le cordon. C'est pour l'ICANN une volonté affichée ( 1)… mais c'est loin d'être fait.
 Outre l'ICANN, comme l'a souligné notamment un récent rapport de Reporters Sans Frontières ( 2), la plupart des gouvernements surveillent les échanges d'informations sur le net et posent des obstacles à la libre circulation de l'information. En Allemagne, Angleterre et en France, la liste des sites consultés par chaque internaute est transmise aux services de l'état ainsi que la liste des e-mails reçus et envoyés chaque année. Notons aussi que la Tunisie, où se déroulera le second volet du SMSI, est d'ailleurs tristement célèbre pour sa répression sanglante de la libre expression sur internet. La liberté d'expression sur internet n'est donc clairement pas la priorité du SMSI.
A l'heure où tous les leaders du monde se réunissent pour parler d'internet et des TIC, pourquoi ne pas inscrire à l'agenda un fonctionnement démocratique de la toile ?
Certes il faut des règles pour que le réseau puisse fonctionner, mais il est inacceptable qu'elles soient élaborées uniquement par certains pays. Consultons directement les internautes ! Créons un organe de régulation placé sous l'égide des nations unies directement responsable devant les internautes ! Ce chemin, l'ICANN l'avait emprunté il y a quelques années puis s'en est écarté car il était laborieux. La démocratie coûte cher. Elle coûte du temps et de l'énergie, elle exige le respect et l'écoute. Mais est-ce pour autant qu'il faut lui préférer l'arbitraire ?
-- Keyvan
1- Cf. Paul Twomey, président de l'ICANN, se défend de travailler pour le gouvernement américain. Toutefois, sans que l'action de l'ICANN soit dictée par les Etats-Unis, le fait que le gouvernement américain ait un droit de véto sur les activités de l'ICANN est déterminant.
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