Pourquoi j'aurais pu aller aider Oussama Ben Laden
Le titre choque et c'est fait exprès. Le problème est réel, et ses conséquences bien plus choquantes que n'importe quelles provocations sémantiques. Si le réseau Al Quaeda a la force qu'il a, c'est parce qu'il est présent partout. Les enquêtes sur les attentats du 11 septembre l'ont bien montré : les hommes de Ben Laden étaient aussi des occidentaux. Du moins, des occidentaux d'origine musulmane.
Apparemment, le "nous sommes tous américains" brocardé à la une du monde et du figaro au lendemain des attentats de New York et Washington ne fait pas l'unanimité. Ce n'est pas juste le réseau Al Quaeda qui est concerné, puisque comme l'ont constaté les forces de l'Alliance du Nord et l'armée américaine lors de la libération du pays, beaucoup d'occidentaux sont venus depuis plusieurs années grossir les rangs des talibans.
Pourquoi quitter le monde du bien (pour reprendre les termes du prédisent des Etats-Unis M. George W. Bush) pour rejoindre "le côté obscur de la force" ? La réponse des bushistes serait certainement identique à celle de Mr Orangina à l'orange sanguine, à savoir "parce que !!!!!!!!!!!!!!". Cependant, personne ne devrait se contenter d'une explication à l'emporte-pièce de ce phénomène.
Si des gens ont quitté la sécurité de leur pays pour rejoindre Al Quaeda et/ou les talibans, et ainsi risqué leur vie, c'est que cette situation leur convenait plus que la situation dans laquelle ils vivaient.
La figure d'Oussama Ben Laden lui-même en est en quelque sorte le paradigme : multi-millionnaire, fils d'une grande famille, ayant fait des études supérieures et beaucoup voyagé, promis à un grand avenir, il a préféré tout quitter pour les grottes afghanes, il a préféré risquer sa vie en faisant la guerre contre la redoutable armée rouge, il a dépensé sa fortune à construire des camps d'entraînement au lieu de se faire construire de somptueuses demeures à l'image des sheikhs saoudiens... M. Ben Laden est un homme qui a tout laissé tomber pour un idéal.
Un idéal belliqueux et fanatique certes, mais un idéal néanmoins.
Pourquoi tant de jeunes européens ont laissé derrière eux leurs pays, leurs familles, leurs avenirs pour défendre une certaine vision de l'islam ?
Telle est la question que je me pose et je trouve qu'elle est au coeur du débat. Si la seule réponse que nous lui apportons est une réponse manichéénne et simpliste nous ne sommes pas près de résoudre le problème du fanatisme wahabite.
Parmi les réponses à apporter à cette question, la plus évidente est certainement celle du fanatisme. Les gens qui ont rejoint Al Quaeda et ont accepté de perdre leur vie pour la cause étaient sans aucun doute fanatiques, cependant, cette réponse en soi ne nous éclaire absolument pas sur les causes du phénomène. La question est plutôt celle de savoir ce qui les a poussés à sombrer dans le fanatisme alors qu'ils ne l'étaient pas auparavant.
Il y a quelques années, un film intitulé "My son the fanatic", dont le scénrio avait été écrit par Hanif Kureishi avait déjà évoqué ce problème.
Voici plusieurs pistes d'explications qui me sont venues à l'esprit en songeant à ce film, mais également à ma situation personnelle, en tant que français né en France mais de père iranien.
Ici en France, même si le racisme semble plus ou moins reculer (le Front National et le MNR font des scores un peu plus faibles qu'il y a quelques années), la discrimination reste un problème très présent. Au collège, mes camarades de classe m'appellaient toujours "bougnoule". Et pourtant j'étais très bien intégré, j'étais "le gentil bougnoule". Toute ma vie j'ai eu le droit à des remarques plus ou moins agréables me faisant comprendre que j'étais un étranger en France.
Ici les arabes qui ont réussi sont sportifs ou artistes. Un arabe PDG, un arabe ministre, ça reste une vue de l'esprit, un concept tellement irréel que Smaïn faisait son auditoire se plier en deux avec son sketche du candidat arabe aux présidentielles.
Ici, un arabe doit se justifier chaque jour, chaque jour il doit montrer en quoi sa présence est légitime. Cette vision peut sembler exagérée à des gens qui ne sont pas familiers avec le problème, d'ailleurs elle peut même sembler exagérée à certains arabes, cependant, c'est une vision répandue chez beaucoup d'entre nous.
Je suis né en France, je suis même à moitié français, pourtant il faut toujours que je fasse mes preuves pour être l'ami des français de souche. Les arabes et les musulmans me traitent depuis toujours comme un frère.
Faites le calcul vous-même : d'un côté un pays dont on se sent rejeté, une culture qui ne nous accepte pas totalement, de l'autre des gens qui vous accueillent les bras ouverts, de gens pour qui on n'est plus un étranger mais un semblable. D'un côté un pays où les perspectives de réussite sociale ne sont pas énormes (car même si on peut gagner mieux sa vie que dans le tiers-monde, très peu d'arabes arrivent en haut de la pyramide sociale) de l'autre un monde où on peut devenir un héros, un martyr.
Ce que je dis, ce n'est pas que je suis du côté de M. Ben Laden, loin de là. Je suis profondément opposé à l'idée de prendre la vie de gens (a fortiori de prendre la vie de civils innocents). Je souhaite du fond du coeur qu'il n'y ait plus jamais d'autres attentats ni d'autres guerres, et je pense que plus on abordera les problèmes de façon manichéenne, moins on parviendra à les résoudre. Je pense qu'"on récolte ce qu'on sème" comme le disait M. Martin Luther King. Je dis que le racisme et l'exclusion sont aussi à l'origine de la fanatisation de l'islam dans les pays occidentaux. Le racisme alimente également Al Quaeda. Alors la première chose à faire pour mettre fin au terrorisme, c'est peut-être avant tout de s'ouvrir au dialogue entre les civilisations et les cultures plutôt que de jouer la carte du dialogue entre les B52s et les Boeings.
J'aurais pu aller aider M. Ben Laden et vous aussi, si nous avions été dans les conditions psychologiques où se sont trouvés beaucoup d'étrangers d'origine musulmane et arabe en europe. Quand on n'a rien on n'a rien à perdre. Et c'est quand on n'a rien à perdre qu'on peut accepter de faire des choses commes les attentats-suicide du 11 septembre.
Je pense que la tolérance et l'ouverture de chacun dans son comportement de tous les jours peuvent faire beaucoup pour annihiler le racisme et la discrimination. Et la fin de la discrimination, c'est aussi la fin de la guerre. Rappellons-nous de ce qu'écrivait le poète indien Ibne Insha :
"il n'est personne au monde qui soit un étranger"
Keyvan ~~
09/02/02
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